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Par une nuit noire
Translation Challenge
I have so enjoyed watching Rose-Marie Vassallo working through the two
separate translations of Story for a Black Night, twenty years apart, that I wanted to include her work here for those of
you interested in translation.
First let me give you her statement of the problem, followed by my own quite inadequate English translation of her far
more elegant and generous French:
La force d’une tragédie grecque — des êtres au cœur d’une tourmente, face à des choix qui les dépassent —
doublée d’une poignante simplicité. Voilà des années, submergée par la beauté de ce récit, je m’étais lancée à corps perdu
dans sa traduction. Très vite était venu le constat d’impuissance. Écrit dans une langue unique, née des noces de l’anglais
et du kpellé libérien, le texte source est de ceux qui placent le traducteur face aux limites de son métier. Le résultat de
mes efforts ne m’avait jamais satisfaite. Je savais trop tout ce que je laissais sur l’autre rive.
Près de vingt ans plus tard, une nouvelle chance m’a été offerte. On ne se refait pas ; je n’ai pas résisté.
J’ai retraduit ce texte de fond en comble. Faire mieux que ma première version n’était (hélas) guère difficile ; faire
justice à l’original demeure tout aussi illusoire. Pour cette raison, à ceux qui le peuvent, je ne saurais trop conseiller
de lire — de préférence en second lieu, comme pour la dégustation des vins — ‘Story for a Black Night’.
Unique consolation : à mes yeux, ce texte est de ceux qu’il est criminel de traduire, certes ; mais sans doute serait—il
plus criminel encore de ne pas le traduire.
My translation:
The power of a Greek tragedy—human beings in the heart of a storm face to face with choices that overwhelm them—is
intensified by a poignant simplicity. Years ago, submerged by the beauty of this story, I threw myself headlong into its
translation. Very quickly I felt powerless. Written in a unique language born of a wedding of English and the Liberian
dialect Kpelle, the original text is one of those that place the translator at the outer limits of the profession. The
results of my efforts never satisfied me. I knew soon enough what I was leaving behind on the other bank.
Nearly twenty years later, a new chance was offered to me. It could not be refused; I did not resist it. I retranslated
the text from bottom to top. To improve upon my first version was not (alas) all that difficult; to do justice to the
original remained an illusion. For this reason, for those who are able, I recommend you read—in a second tasting as in the
appreciation as of wines—Story for a Black Night.
To my eyes, this text is one of those that it is criminal to translate, to be sure; but without doubt it would be more
criminal still not to translate it.
. . .
The illustrations for the French edition were drawn by Solvej Crevelier. Their black and white texture add to the sense
of mystery in this African story. Here is the illustration for the legendary Mame Water (Mommy Water) who carries babies and
children off the banks of the river to her underwater world where she makes them her slaves.
. . .
And now below is the selection that Rose-Marie suggested I include in this website. First comes the original English,
then her second translation (2004) and finally her first translation (1984). Enjoy-comme dans la dégustation des vins.
“Give it to me!” Old Ma screamed like leopard in the night. “Give it to me. I will leave it in bush for leopard.
Or I will take it far down the river and give it to Mommy Water.”
But Ma looked down at the baby who was beating its hand now against her breast, trying to find nipple for milk.
“No,” she said, shaking like with malaria fever. “No.”
“What?”
“No.”
Silence fell on us. Wind blew, stirring dust, dropping leaves loudly from trees.
“Why?” Old Ma finally said, hard and cold. “What you will do with it?”
“I don’t know.”
“Then give it to me!” Old Ma screamed again, reaching for stranger baby. “I know what to do with it, and so
should you.”
“We can’t leave it to die.”
“Then we will kill it and do it mercy.”
“No,” Ma said, turning her body to protect the baby from Old Ma’s fingers.
“You be out of your head? Old Ma cried. “Ain’t you know what pox can do? Ain’t you seen?”
Then she suddenly turned to me and grabbed me by my shoulders, and I wondered again at how she could find me in
her blindness. It was my first time looking close at her face so, and it seemed like I had never seen it before, to see
all the damage.
“Listen to me, Momo, and tell your ma what I tell you. You see these blind eyes? Once they were good like
your own. Pretty eyes, sharp eyes, but pox came and grew on them and emptied their water from them. You see these pits
all over my face and body? Pox dug them. I had sores to burn and itch and eat me, every inch of my skin, pox.”
She turned now back to Ma. “You be out of your head, Hawah? It pox!”
“Quick,” Ma said. “Take Momo and Meatta from here. Take them in town to Musu.”
“What will you do?”
“I will stay with this baby.”
“Hunh!”
I looked at Old Ma, strong woman standing there, facing Ma. Her dry gray hair, that which stood uncombed
around her bone face, looked like raw sheep wool. Muscles behind her eyelids moved like hand making fist, like she was
trying to see again.
“Why?” she said finally.
I looked now to Ma. And my children, even as we sit here tonight, I can’t lose the picture of her from my
mind. Too beautiful, head high, standing straight and strong, baby to her breast. Beside her, all Africa seem small.
2004 Translation
. . . .Et pour finir Vieille Ma se relève et crie, elle crie comme une
bête dans la nuit :
— Donne-la moi ! Donne-la, que j’aille la déposer dans la brousse pour léopard ! Donne-la, que je la jette à
la rivière pour Mama l’Eau !
Mais Ma regarde Bébé sans nom, qui lui pétrit le sein de sa main minuscule pour avoir du lait. Et Ma murmure « Non » avec
un frisson, comme si elle avait la fièvre.
— Hein ? rugit Vieille Ma.
— Non.
Silence, silence autour de nous. Rien d’autre que le vent qui soulève la poussière et fait tomber les
feuilles.
— Pourquoi ? demande Vieille Ma enfin, la voix dure et glacée. Qu’est-ce que tu vas en faire ?
— Je n’en sais rien.
— Alors, donne ! Moi, je sais qu’en faire. Et toi aussi, tu devrais le savoir.
— Nous n’allons pas la laisser à mourir.
— Alors tuons-la. Ce sera mieux pour elle.
— Non, répète Ma, et elle se tourne de côté pour mettre la petite hors de portée de Vieille Ma.
— Hawah ! Tu perds la tête ? Tu ne le sais donc pas, ce que Variole peut faire ? Tu ne l’as donc pas vu ? Et
sans prévenir elle m’empoigne les épaules, elle me fait pivoter vers elle.
Comme toujours, je me demande comment elle sait si bien où je suis, mais c’est la première fois, je crois,
que je regarde vraiment ce vieux visage, la première fois que j’y vois vraiment les ravages de la maladie.
— Écoute-moi bien, Momo. Et répète à ta mère ce que je dis là. Tu les vois, ces deux yeux ? Avant, ils
voyaient clair. Avant, c’étaient de bons yeux, de jolis yeux. Comme les tiens. Mais Variole est venue, elle les a vidés de
toute leur eau. Tu les vois, ces vilains trous sur ma peau ? C’est Variole qui les a creusés. Elle m’a brûlée, elle m’a
rongée, elle m’a dévorée tout partout. Variole. Elle se retourne vers Ma.
— Tu perds la tête, Hawah ? C’est Variole !
Mais Ma répond sans lever la voix :
— Ma. Vite, s’il te plaît. Emmène Momo et Meatta. Emmène-les au village, chez Mousou.
— Et toi ? Tu fais quoi ?
— Je reste ici avec l’Autre petite.
— Rhunh ! gronde Vieille Ma.
Campée sur ses jambes, ferme et solide, elle fait face à Ma. Autour de son visage osseux, ses cheveux gris tout emmêlés
sont comme de la laine de mouton. Derrière ses paupières vides on voit bouger les muscles, comme si elle essayait de voir
encore. Et pour finir elle éclate :
— Mais pourquoi ?
Alors, je regarde Ma. Aussi longtemps que je vivrai, je la reverrai à cet instant-là. Belle et forte, le menton haut.
Droite comme un arbre, le bébé sans nom à son sein. À côté d’elle, l’Afrique était petite.
. . .
Solvej’s illustrations also bring out some of the humor of this very dark story as in this picture of fat Aunt Musu
running, “boo loop boo loop”.
1984 Translation
— Donne-moi ça!.criait Vieille Ma, comme le léopard dans la nuit. Donne-moi ça, que j’aille le déposer dans la
brousse, pour les fauves. Ou que je l’emporte plus bas sur la rivière, pour le laisser à la Marâitre! Donne-moi ça!
Mais Ma baissa les yeux sur cette toute petite fille qui, à présent, de sa main minuscule, frappait et
pétrissait le sein à sa portée, à la recherche d’un mamelon à téter.
— Non, dit-elle, prise d’un immense frisson, comme sous un accès de fièvre. Non.
— Quoi?
— Non.
Le silence retomba. Une bourrasque subite fit tourbillonner la poussière, et la rosée du matin, à grosses
gouttes sonores, dégoulina des arbres.
— Pourquoi non? demanda enfin Vieille Ma, d’une voix dure et froide. Que vas-tu en faire?
— Je ne sais pas.
— Alors donne-le moi ! se reprit à crier Vieille Ma, en tendant les bras pour s’en emparer de force. Moi je le
sais, ce qu’il faut en faire; et toi aussi tu devrais le savoir.
— Nous ne pouvons pas laisser cetter petite mourir comme ça.
— Non, mais nous pouvons la tuer, ce serait avoir pitié d’elle.
— Non, dit Ma en tournant sur elle-même pour mettre son petit paquet à l’abri des doigts de Vieille Ma.
— Enfin, Hawah, es-tu folle? cria Vieille Ma, hors d’elle. Ne sais-tu pas ce qu’est la variole? Ne te l’ai-je
pas assez dit?
Brusquement, se tournant vers moi, elle m’empoigna par les épaules, e je m’étonnai une fois de plus qu’elle pût
me trouver aussie sûrement sans pourtant me voir. C’était peut-être la première fois que mon regard rencontrait de si près
son visage; il me semblait ne l’avoir encore jamais vu — hideux, défiguré, ravagé par le mal.
— Ecoute-moi, Momo. Regarde-moi, et dis-le-lui! Dis-le-lui, toi, ce qu’elle ne veux pas entendre. Tu vois
ces pauvres yeux? Ils étaient aussi bons que les tiens, dans le temps; mais le mal est venu, qui s’est mis après eux, et
qui les a vidés de toute leur eau. Tu vois ces vilaines marques, en creux, partout sur mon visage, sur mon corps? C’est
le mal qui les a creusées. La variole. Des pustules, j’en ai été couverte. Pas un pouce de ma peau n’y a échappé, pas un.
J’ai été brûlée, rongée, dévorée. Par ce mal-ci, oui, par ce mal. La variole.
Elle s’était retournée vers Ma, pour éclater de plus belle :
— Enfin, Hawah, es-tu folle ? C’est la variole! La variole!
— S’il te plaît, Ma, vite, dit alors Ma. Eloigne d’ici Momo et Meatta. Emmène-les au village. Chez Musu.
— Et toi ? Que vas-tu faire ?
— Rester avec cette petite.
— Hunh!
Je regardai Vieille Ma, debout, solide et forte, qui faisait face à Ma. Ses cheveux gris, embroussaillés,
encadrant son visage osseux, étaient comme de la laine de mouton, pas même encore dessuintée. On sentait frémir les muscles
de ses yeux sous ses paupières, comme une main qui serre le poing, comme si elle tentait d’y voir encore.
— Pourquoi, hein? Demanda-t-elle enfin.
Mon regard se porta sur Ma, sur une image de Ma que je n’oublierai jamais, quant je vivrais cent ans. Elle
était belle, oh, qu’elle etait belle! Elle portait la tête haute, et se tenait droite et fière, le bébé étranger contre
son sein. Toute l’Afrique, à côté d’elle, semblait petite.
Copyright © 2004 Robert Locke
All Rights Reserved
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